L’obsolescence des technologies utilisées par les musiques en temps réel peut être vue comme un danger, un risque pour l’existence de ces nouvelles formes d’expression musicale. Chefs d’œuvre en péril, fin de l’histoire… doit-on être aussi pessimiste ?
On oppose la partition, notée sur papier, dont la pérennité se mesure en siècles, puisqu’on peut encore retrouver des musiques notées au Moyen Âge, aux supports numériques dont on mesure chaque jour, à nos dépens, l’extrême volatilité. Mais on oublie, ce faisant, que le parchemin exhumé n’a de valeur que pour celui qui sait le déchiffrer, que la musique qui fut notée là restera virtuelle tant que personne ne la chantera.
À travers son histoire, l’Ircam est un terrain où l’on peut observer à l’œuvre la problématique de la préservation des supports numériques de la musique interactive. Aux origines, il n’y avait pas de conscience de la gravité du problème : les œuvres réalisées dans les années 80 se faisaient dans l’insouciance ou dans l’optimisme technophile. La prise de conscience s’est faite plus tard, à peu près au tournant du siècle.
L’Ircam a toujours eu le souci de préserver les œuvres créées en son sein. Pour créer un répertoire patrimonial, l’institut s’engage au côté des compositeurs à qui il commandite des œuvres utilisant le produit des recherches menées. Ce souci de préservation prenait la forme d’archives, sur différents supports, et de documentations rédigées par les tuteurs/assistants/réalisateurs. Valoriser les œuvres créées en les rejouant lors de concert et de tournée entraine la création d’un répertoire original. La préservation du répertoire accompagne naturellement cette volonté de créer une histoire, une certaine forme de tradition.
L’expérience des réalisateurs en informatique musicale, qui doivent transférer, pour pouvoir les rejouer, des pièces parfois complexes (à l’Ircam, on appelle cela le « portage ») d’un système à l’autre au gré des évolutions des générations technologiques (de l’historique 4X à la station d’informatique musicale de l’ircam,et à travers les différentes versions du logiciel MAX) nous a amené à inventer, à développer un savoir-faire, des techniques et des pratiques qui ont permis de préserver du naufrage numérique quasiment l’intégralité du catalogue des œuvres créées à l’Ircam (totalisant rien moins qu’environ 600 œuvres).
Notre musique savante est indissociable de la partition : même si toute musique est un bien éphémère et immatériel, le fait de l’écrire l’inscrit dans une histoire et dans l’effort du “dur désir de durer”. Tous les compositeurs ne semblent pas forcément se préoccuper de l’avenir de leurs œuvres, la création est du côté du renouvellement, du flux, plus que de celui de la thésaurisation et du stockage. Pourtant, s’ils écrivent leur musique c’est bien pour qu’elle leur survive. La partition c’est à la fois la façon de transmettre la musique à des interprètes et le support qui permet sa conservation dans le temps. À cet égard, la musique électroacoustique, et en particulier les œuvres interactives mixtes, pose de nombreux problèmes puisque n’existe à ce jour, ni solfège, ni forme de notation unanimement partagée.
La préservation des oeuvres électroacoustiques ne peut pas se faire sans ses interprètes, qui sont les réalisateurs en informatique musicale, à la fois archéologues d’un passé proche, spécialistes des technologies obsolètes, herméneutes des textes musicaux et virtuoses des nouvelles lutheries. Sur eux repose la responsabilité de transmettre avec authenticité la volonté du compositeur.